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Douane et commerce international: dans quelle direction souffle le vent?

Christina Haas Bruni
Senior Manager, Conseil fiscal et juridique

Le commerce international est de plus en plus marqué par l’avènement des accords de libre-échange (ALE), le dédouanement électronique des marchandises et les contrôles et règlementations à l’exportation. Pour maintenir leur compétitivité, les entreprises doivent se doter d’une stratégie globale qui intègre dans leur chaîne de valeur toutes les activités liées à la douane et au commerce – en particulier à travers l’informatisation des processus.

Les négociations sur l’accès au marché ont constitué la pierre angulaire de la fondation de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) en 1996. Or depuis lors, aucun accord international majeur portant sur le commerce des marchandises au niveau multilatéral n’a vu le jour. D’un autre côté, entre 2000 et 2015, le nombre d’ALE bilatéraux ou régionaux a pratiquement doublé dans le monde. Cette hausse significative des accords bilatéraux entre parties intéressées est une conséquence directe de la stagnation des négociations de l’OMC. La libéralisation des échanges mondiaux s’accélère avant tout au niveau bilatéral, et ce phénomène n’est pas près de s’arrêter.


À la fin des années 90, seules quelques administrations douanières disposaient de systèmes de dédouanement électroniques. À peine vingt ans plus tard, les progrès technologiques et les exigences sécuritaires issues des attentats du 11 septembre ont rendu inconcevable de ne pas avoir recours au dédouanement électronique pour accomplir les formalités et procédures de passage de la frontière. Un environnement douanier et commercial sans papier s’est imposé comme une norme.

Mais le développement des échanges commerciaux et des technologies entraîne des risques. Les réglementations et les contrôles liés à l’exportation constituent l’un des principaux obstacles – si ce n’est le principal obstacle – auxquels les opérateurs économiques sont confrontés de nos jours. Ces exigences poursuivent des objectifs louables − la préservation de la santé, de l’environnement ou de la sécurité nationale, par exemple – qui laissent cependant les entreprises face à des défis de taille en ce qui concerne leur en œuvre. Avec l’intensification des échanges commerciaux internationaux, ces réglementations sont devenues un outil de prédilection des gouvernements pour imposer des sanctions politiques et lutter contre la prolifération des armes. Les entreprises sont donc contraintes de respecter un nombre croissant d’embargos, de sanctions internationales et de règles sur les biens à double usage et militaires, afin de garantir leur conformité et d’éviter de lourdes pénalités.

Ces trois grandes tendances que sont le commerce préférentiel, le dédouanement électronique et les réglementations à l’exportation continueront de façonner le commerce international et la manière dont les entreprises aborderont leurs activités douanières au cours des prochaines années.

Comment s’en sortir dans la «jungle» du commerce international?

Si «jungle» il y a, elle abrite autant de risques à contrôler que d’opportunités dont il est crucial de pouvoir profiter, afin de défendre sa position sur les marchés.

Tirer parti des accords de libre-échange

Premier partenaire économique de la Suisse, l’UE applique des droits de douane compris entre 5 % et 10 % sur les importations de la plupart des produits chimiques. Les droits de douane perçus sur les équipements électriques au sein de l’UE oscillent généralement entre 5 % et 15 %. En Chine, ceux prélevés sur les machines culminent à 15 % voire 20 % dans certains cas. Lorsque l’on sait que les produits chimiques, les équipements électriques et les machines comptent parmi les principales exportations suisses, les avantages économiques des ALE apparaissent comme évidents (pour des informations plus détaillées, voir encadré).

Mais pour tirer parti de ce genre de traités, les entreprises doivent accorder une grande place à la planification organisationnelle et parfois aussi consentir d’importants investissements. L’émission de faux certificats d’origine, ou le fait de ne pas pouvoir authentifier l’origine suisse de ses marchandises une fois qu’elles ont été déclarées comme telles, peut entraîner de graves sanctions. Le droit suisse (l’Ordonnance sur la délivrance des preuves d’origine, RS 946.32) prévoit des amendes pouvant atteindre CHF 40 000 en cas de non-respect des directives légales. Et ce n’est pas tout: les opérateurs économiques peuvent se voir retirer leur statut préférentiel (i.e. exportateur agréé).

L’origine préférentielle constitue une question stratégique qui devrait être traitée au niveau de la direction

Dans la plupart des pays, des droits de douane sont prélevés sur l’importation de marchandises. Ces droits sont généralement calculés en pourcentage de la valeur des biens importés. Si, par exemple, une entreprise importe des marchandises pour un montant total de EUR 1 000 000 et que les droits de douane appliqués pour ce type de produits sont de 10 %, EUR 100 000 doivent être payés à l’administration douanière locale. Pour conférer un avantage compétitif à leurs opérateurs économiques, certains gouvernements renoncent à prélever les droits de douane dans le cadre d’ALE bilatéraux ou régionaux.

Mais que doit faire l’entreprise pour profiter d’un ALE? Afin d’éviter le contournement des règles commerciales, les gouvernements qui négocient un ALE conviennent de règles d’origine pour les marchandises. Ces règles déterminent quel type de transformations les produits doivent subir pour obtenir un statut préférentiel et bénéficier d’exemptions tarifaires lorsqu’ils passent la frontière. Par exemple, l’ALE conclu récemment entre la Suisse et la Chine stipule que, pour bénéficier de l’origine préférentielle, les machines fabriquées dans l’un des pays signataires doivent contenir au moins 50 % de composants suisses ou chinois. Dans le même esprit, l’ALE Suisse/UE signé en 1972 prévoit que le fromage suisse ne peut bénéficier de préférences tarifaires lorsqu’il est exporté vers l’UE que si le lait utilisé pour sa fabrication provient de Suisse.

Ces règles sont le résultat de négociations et varient par conséquent d’un ALE à l’autre et selon les produits. La Suisse ayant négocié à ce jour 30 ALE (en vigueur) avec environ 40 pays et partenaires, les opérateurs économiques font face à un défi de taille lorsqu’il est question d’origines. Il n’est pas rare qu’un même produit ait plusieurs origines préférentielles à la fois, en fonction de l’ALE et du prix auquel il est exporté. Cette situation a conduit à ce que l’on appelle «l’effet du plat de spaghettis», une métaphore utilisée pour décrire l’enchevêtrement des règles d’origine.

Qu’est-ce que tout cela signifie concrètement pour les entreprises exportatrices et importatrices de marchandises? Premièrement, les départements des ventes, de la production et des achats ont intérêt à communiquer étroitement entre eux. Comment les entreprises pourraient-elles certifier l’origine de leurs exportations si elles ne connaissent ni le contenu de leur produits, ni l’origine de leurs composants? Cela signifie en outre que les entreprises doivent pouvoir retracer les origines de la plupart de leurs achats et être en mesure de les authentifier et de les documenter. Deuxièmement, les départements juridiques doivent avoir connaissance des législations pertinentes et des conséquences de leur non-respect. De lourdes sanctions sont prises en cas de fausse déclaration d’origine. Troisièmement, les entreprises doivent avoir conscience qu’il n’est pas possible de bien gérer les préférences sans une intégration durable dans les systèmes informatiques. Ceci implique des investissements et des mesures de formation et de maintenance. Mais d’un autre côté, cela améliore la transparence en cas d’audits douaniers. Au final, pour qu’un plan aussi complexe fonctionne réellement, l’organisation de l’entreprise doit être intégrée horizontalement. Les rôles et responsabilités devraient être clairement définis (élaboration d’une politique-cadre), et il convient de s’assurer que la direction soit en mesure de rendre des comptes.

Rationaliser le dédouanement électronique

Pourquoi les gens paient-ils des comptables pour faire leurs déclarations d’impôt? Parce que c’est une tâche complexe et fastidieuse, et qu’il est vraisemblable qu’ils feront des économies au bout du compte. Pourquoi les entreprises confient-elles leurs formalités douanières à des agents en douane (les transitaires)? Probablement pour les mêmes raisons. Mais est-ce encore judicieux à l’ère de la douane électronique? En Suisse, un transitaire facture entre CHF 50 et CHF 150 pour remplir et soumettre une déclaration en douane. Il suffit d’additionner les envois mensuels d’une grande entreprise pour s’apercevoir des économies réalisables par l’internalisation du dédouanement. Internalisation qui peut également vous permettre de mieux contrôler vos flux de marchandises, de les surveiller et d’améliorer leur transparence et leur traçabilité. Car n’oublions pas non plus qu’au final, c’est l’importateur qui est responsable des marchandises déclarées, pas l’agent en douane. La Loi suisse sur les douanes (RS 631.0) est particulièrement sévère en cas de fausses déclarations conduisant au non-paiement ou au paiement insuffisant de droits de douane, avec des amendes représentant jusqu’au quintuple des droits impayés et la possibilité d’une peine privative de liberté.

De nos jours, le dédouanement électronique offre de nombreuses opportunités aux entreprises désirant reprendre le contrôle de leurs flux de marchandises. Il leur permet aussi de faire des économies et de renforcer la conformité et la transparence de leurs flux de marchandises. Bien entendu, cela nécessite des investissements informatiques. Néanmoins, selon nous, cela constitue une manière efficace d’exploiter les systèmes déjà en place. En effet, depuis les années 90, les entreprises déploient des efforts considérables dans le domaine de la chaîne d’approvisionnement et de la logistique. Dès lors, pourquoi ne pas «boucler la boucle» en intégrant les formalités douanières dans les procédures commerciales?

Figure 1: Un exemple tout au long de la chaîne d’approvisionnement

Figure 2: Points à considérer dans une chaîne d’approvisionnement/structure de prestation internationale complexe

  • Importateur officiel/exportateur officiel dans différents pays
  • Valeur en douane
  • Classification des produits
  • Conséquences en matière d’impôt sur les sociétés/d’impôt direct (structure principale)
  • Prix de transfert (transactions interentreprises)
  • Incoterms
  • Calcul de l’origine
  • Certificats d’origine (préférentielle/non-préférentielle)
  • Eventuelles obligations en matière de TVA dans différents pays
  • Aperçu fiscalité et droit
  • Responsabilités
  • Documentation
  • Classement et archivage
  • Collaboration avec des prestataires de services (agents en douane, transitaires)
  • etc.
Respecter les réglementations liées aux contrôles à l’exportation

La plupart des entreprises se réjouissent de faire les gros titres pour leurs bons résultats financiers ou leurs pratiques exemplaires en matière de responsabilité sociales. Mais c’est une toute autre histoire lorsqu’il s’agit de livraisons d’armes à des dictatures ou de commerce de biens à double usage avec des membres sanctionnés d’Al-Quaïda. Les violations de la Loi fédérale sur l’application de sanctions internationales (RS 946.231) ne restent pas sans conséquences. La législation prévoit jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et des amendes de CHF 1 million pour les violations en rapport avec les sanctions et embargos, et jusqu’à dix ans d’emprisonnement et des amendes de CHF 5 millions pour celles en rapport avec les règles sur le double usage et les munitions. À cet égard, les réglementations américaines comptent parmi les plus sévères du monde: les entreprises s’exposent au risque d’être blacklistées (interdiction de commerce) en cas de non-respect des règles, ce qui les empêchera d’exécuter leurs commandes et livraisons. Cependant, nombre d’entreprises s’accordent à dire que le plus grand dommage est l’atteinte portée à la réputation aux yeux du public, des partenaires commerciaux et des autorités. A contrario, les entreprises respectant scrupuleusement les réglementations à l’exportation peuvent alors bénéficier de procédures simplifiées, telles que des licences générales d’exportation.

Toutefois, connaître les réglementations ne suffit pas. Comment une grande entreprise qui importe et exporte des tonnes de marchandises chaque jour aux quatre coins du globe peut-elle gérer l’examen de dizaines de listes de parties sanctionnées? Comment peut-elle s’assurer qu’un certain type de produit n’est pas considéré comme un bien à double usage quand il est expédié vers une destination spécifique? Comment peut-elle fournir l’ensemble des licences et certificats pertinents tout au long de la chaîne d’approvisionnement quand le «juste à temps» est devenu la norme du commerce international? De plus, s’agissant des contrôles des exportations, les agents en douane et les intermédiaires ne sont d’aucun secours; seule l’entreprise doit rendre des comptes en cas d’infraction et est par conséquent tenue responsable de la conformité. Nous sommes d’avis que seules une solide intégration informatique – qui comprend l’examen des marchandises, des partenaires commerciaux, des destinations, etc. – et une organisation performante peuvent apporter une sécurité maximale aux entreprises et leur permettre de se conformer aux réglementations concernées.

Planifier, c’est anticiper: bonnes pratiques et leçons tirées du passé

Notre expérience avec nos clients montre que les entreprises tirent un profit certain de leurs activités commerciales internationales, mais qu’il leur manque une stratégie coordonnée. Elles traitent la gestion des préférences, le dédouanement et les contrôles des exportations de manière fragmentaire. Pourquoi? Les formalités douanières et les opérations commerciales sont activités transversales qui concernent plusieurs départements dans les entreprises, dont les achats, les ventes, les services informatique et juridique, la production et la logistique. Et trop souvent, la main droite ignore ce que fait la main gauche. C’est pourquoi nous recommandons à nos clients d’adopter une approche globale et une stratégie unique, définie par la direction. Quelles mesures peuvent être engagées?

  • Clarifier les responsabilités et définir une politique-cadre pour le commerce et la douane
  • Investir dans la formation des collaborateurs et la diffusion du savoir-faire au sein de l’entreprise
  • Définir des procédures organisationnelles et les appliquer par le biais d’une infrastructure informatique
  • Toujours garder à portée de main les informations nécessaires et sa documentation archivées conformément aux prescriptions légales pertinentes.

Conclusion

Le commerce international est un paysage en constante évolution, où apparaissent continuellement de nouvelles réglementations, technologies, opportunités et de nouveaux risques. Pour les anticiper, les entreprises devraient définir des outils et des solutions conformes aux évolutions technologiques, et concevoir une organisation permettant de mettre sous le même toit toutes les activités douanières et commerciales. Il est certainement judicieux d’investir dans l’optimisation de la logistique, mais cela ne suffit pas. Pour permettre à nos clients de rester compétitifs dans un environnement en constante mutation, nous leur conseillons de traiter de manière proactive les questions qui découlent des trois grandes tendances que nous avons décrites. C’est maintenant qu’il faut agir!

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Christina Haas Bruni

Christina Haas Bruni

Senior Manager, Customs & International Trade, PwC Switzerland

Tel : +41 58 792 51 24

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