Gros plan : Les nouveaux modèles d’entreprise

Externalisation et offshoring de fonctions financières

Reto Brunner
Partner, Advisory

Les grandes entreprises externalisent leurs fonctions financières depuis longtemps. Ces dernières années, de plus en plus de petites et moyennes entreprises ont, elles aussi, commencé à confier leurs processus financiers à des prestataires externes. La décision d’externaliser revêt un caractère stratégique et ne peut être prise sérieusement que sur la base d’un business case approfondi.

Les grandes entreprises souhaitent se recentrer sur leurs compétences-clés. Elles cherchent donc des moyens d’externaliser les processus qui n’ont pas de lien direct avec la création de valeur ajoutée. Pour ce faire, deux options sont envisageables: les groupes peuvent soit réunir les processus de service de leurs unités commerciales locales dans un centre de services interne centralisé, soit les transférer vers une tierce entreprise tierce externe, ce qui constitue une externalisation. [1]

[1] Externalisation organisationnelle d’activités vers un partenaire externe à l’entreprise qui fournit les prestations externalisées en fonction de Service levels (niveaux de qualité des services) fixés contractuellement et à des coûts prédéfinis. L’externalisation signifie exclusivement que les services sont fournis par un partenaire qui ne fait pas partie de l’entreprise. Ce terme ne contient donc encore aucune information sur le site (national/international).


Tant dans les centres de services internes centralisés qu’en cas d’externalisation, les services locaux sont regroupés et traités de la manière la plus efficace et la plus automatisée possible au sein de centres de services partagés (CSP) [2]. Depuis quelque temps, certaines entreprises industrielles internationales vont encore plus loin et créent des centres de services partagés globaux (Global Business Services ou GBS) [3]. Il s’agit de modèles de gouvernance qui permettent la gestion centralisée des fonctions concernées. De nombreux groupes industriels se sont dotés d’une telle structure globale afin de mettre un terme à l’existence parallèle de finances du groupe et de finances locales. Le fait que les services pilotés et gérés par des centres de services partagés globaux soient fournis en interne ou en externe et à quel endroit varie d’une entreprise à l’autre.

[2] Comprend tous les types de processus qui, au sein ou à l’extérieur d’une entreprise, sont traités et gérés par un organe central et bénéficient de ressources distinctes. L’objectif est de fournir des prestations (services) définies dans la qualité et au prix convenus. «Services partagés» signifie la suppression de processus communs répétitifs et donc l’affectation du personnel à des activités augmentant la valeur. Les centres de services partagés utilisent les économies d’échelle et les possibilités de rendre les processus plus efficaces.

[3] Gouvernement d’entreprise organisationnel commun pour toutes les prestations de service à fournir centralement dans l’entreprise. Cette activité s’avère toujours plus importante compte tenu de la nature des prestations fournies centralement (p. ex. siège, centre d’excellence, centre de services partagés (interne) et externalisation). Il s’agit ici de gérer la qualité des services fournis et de minimiser le risque opérationnel.

Ces cinq dernières années, de plus en plus de petites et moyennes entreprises (PME) ont, elles aussi, décidé d’externaliser des services internes. Cette solution est devenue possible grâce à l’émergence de prestataires spécialisés dans les PME, dont l’activité principale consiste à fournir des prestations à un grand nombre de petites entités. Pour beaucoup de PME, les économies générées au niveau des différentes fonctions sont à première vue extrêmement faibles par rapport aux coûts de projet de l’externalisation.

Prenons l’exemple d’une PME qui emploie cinq personnes dans son service comptabilité. La direction souhaite externaliser le processus fournisseurs à un CSP externe dans l’espoir d’économiser un demi-poste à temps plein. C’est trop peu pour couvrir les coûts de l’externalisation. Les prestataires spécialisés n’examinent donc pas seulement les économies potentielles en coûts de personnel. Spécialistes des technologies de l’information, ils proposent des solutions de workflow qui vont de la numérisation des factures de fournisseurs à la validation du paiement. Il en résulte un tout autre business case [4] qui conduira vraisemblablement à l’externalisation du plus grand nombre possible de fonctions de comptabilité.

[4] Le business case permet d’analyser la rentabilité et les effets d’un projet d’externalisation. Sont établis dans le cadre de cette activité les processus ainsi que l’organisation qui utilisera les processus après l’externalisation. On analyse ensuite le coût de la partie externalisée pour l’organisation par rapport à aujourd’hui et le moment à partir duquel le processus d’externalisation sera rentable dans les cinq ans à venir.

Il est sans doute possible de surmonter les éventuelles barrières linguistiques, car les collaborateurs indiens peuvent aussi apprendre l’allemand. Mais la mise en place et le maintien d’une relation fournisseur efficace constituent une barrière culturelle bien plus importante.

Nearshoring pour les PME

Les groupes internationaux profitent souvent des inégalités salariales dans le monde pour externaliser leurs processus de services dans des pays lointains, à bas salaires, tels que l’Inde. Le plus souvent, cet offshoring [5] n’est pas judicieux pour les PME. En effet, elles ne disposent généralement ni des capacités ni de la maturité commerciale suffisantes pour surveiller et piloter une prestation d’externalisation à si grande distance. Il est sans doute possible de surmonter les éventuelles barrières linguistiques, car les collaborateurs indiens peuvent aussi apprendre l’allemand. Mais la mise en place et le maintien d’une relation fournisseur efficace constituent une barrière culturelle bien plus importante.

[5] Désigne le transfert géographique d’activités dans des pays éloignés et moins onéreux. L’externalisation vers l’étranger peut se faire dans une unité interne à l’entreprise ou vers un partenaire externe à l’entreprise (externalisation).

Le délocalisation [6], c’est-à-dire l’externalisation vers des pays d’Europe de l’Est comme la Pologne ou la Roumanie, est plus approprié pour les PME. L’Allemagne de l’Est a actuellement le vent en poupe car c’est un site considéré comme structurellement faible, à la réussite moyenne, et marqué par le chômage et l’émigration. Il y a là-bas suffisamment de collaborateurs disposés à effectuer les tâches répétitives et opérationnelles demandées dans les CSP.

[6] Externalisation des processus dans des pays situés à proximité et moins onéreux. Pour l’Europe, il s’agit des pays de l’Est du continent (p. ex. la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie); en Amérique, il s’agit des pays d’Amérique du Sud tels que Porto Rico, le Costa Rica, le Mexique.

Les prestataires spécialisés dans les PME doivent faire preuve d’habileté et bien gérer leurs ressources pour continuer à proposer des tarifs attrayants. Leur principal défi tient au fait qu’une seule personne couvre généralement presque l’intégralité d’un processus dans les PME et que, par conséquent, il est difficile de réaliser des économies significatives en externalisant des parties de processus.

Pressions sur les coûts et les marges

Les pressions sur les coûts et les marges sont le moteur principal de cette tendance à l’externalisation. Certaines directions n’envisagent de recourir aux services partagés que lorsqu’elles doivent faire face à une pression à la réduction des coûts et remettent le sujet à plus tard dès que cette pression s’atténue. Ce n’est pas un comportement stratégique. Pour baisser les coûts à court terme, il existe d’autres options permettant d’atteindre directement cet objectif, comme la réduction du working capital.

Lors du choix du pays cible, il faut tenir compte du fait que l’offshoring contribue à accélérer le développement local. D’une manière générale, l’offshoring pousse les prix à la hausse. Plus le niveau des prix du pays offshore est bas par rapport à celui du pays d’origine, plus les augmentations des prix consécutives aux externalisations seront élevées. Et la majoration des prix va de pair avec celle des salaires. Plus les salaires augmentent rapidement, plus le taux de rotation du personnel est élevé dans les CSP, car ceux-ci débauchent mutuellement leurs collaborateurs.

Ces perspectives de développement doivent aussi être prises en compte dans le contrat conclu entre l’entreprise qui externalise ses services internes et le CSP. Il convient d’abord de définir précisément la prestation du CSP ainsi que les indicateurs à l’aune desquels sa réussite sera mesurée, c’est-à-dire les modalités de contrôle de la bonne exécution de la prestation. Concernant la rémunération, il ne s’agit pas seulement de convenir des coûts des prestations du CSP, mais aussi des conséquences financières en cas d’inexécution ou de mauvaise exécution des services convenus.

Les contrats conclus entre l’entreprise externalisatrice et le CSP courent la plupart du temps sur plusieurs années. Les deux parties doivent se faire une idée des futures économies possibles. Le prestataire doit pouvoir calculer ses besoins en ressources humaines et s’assurer que les prix lui laissent une marge bénéficiaire suffisante. Plus ses collaborateurs seront rodés au processus, plus les déroulements seront automatisés, plus les besoins en ressources diminueront et plus ses bénéfices augmenteront. À l’inverse, le donneur d’ordre doit s’assurer que le prestataire reste flexible et qu’il est prêt, à tout moment, à s’adapter aux exigences liées à l’évolution des souhaits des clients et des conditions du marché.

Bon à savoir

En matière d’externalisation, il est nécessaire de garantir que les dispositions légales pertinentes soient respectées, et plus particulièrement la loi fédérale sur la protection des données (LPD) qui régit le traitement des données personnelles et donc également l’externalisation des données personnelles. L’externalisation est autorisée si le prestataire d’externalisation n’effectue que les traitements de données que le mandant serait en droit d’effectuer lui-même et si aucune obligation légale ou contractuelle de garder le secret ne l’interdit. De plus, le mandant doit s’assurer que le tiers mandaté garantit la sécurité des données (LPD, art. 10a).

Si l’externalisation se fait vers l’étranger, selon le pays cible, des mesures supplémentaires de protection de la personnalité des personnes naturelles et juridiques dont les données sont externalisées doivent être prises. L’externalisation vers des pays qui disposent, du point de vue de la Suisse, d’un niveau de protection des données adéquat est en principe possible sans que des dispositions spéciales en matière de protection ne soient nécessaires. Le préposé fédéral à la protection des données et à la transparence (PFPDT) publie une liste des pays offrant, en comparaison avec la Suisse, un niveau de protection des données adéquat.

Focalisation sur les compétences clés

Outre les aspects de coût et de marge, la focalisation sur les compétences-clés joue un rôle important lorsqu’il s’agit de prendre une décision pour ou contre les services partagés. Tout ce qui est de nature à préserver la valeur et non à générer de la valeur ajoutée doit être externalisé dans la mesure du possible. De plus, chaque fonction comporte différents processus administratifs pouvant être externalisés dans un CSP.

Est-il conseillé d’externaliser les fonctions ayant un contact avec les clients? C’est une question difficile. Ainsi, on peut externaliser les tâches d’un call center dans la mesure où le prestataire externe représente convenablement et de manière professionnelle l’entreprise du client. Dans le domaine des assurances par exemple, surtout en cas de sinistre, les clients souhaitent être servis de manière aimable, rapide et professionnelle, et ils veulent savoir dans les meilleurs délais comment leur problème sera résolu. Le traitement d’un sinistre est de nature à fidéliser la clientèle.

Tous les processus ne se prêtent pas à une externalisation. Les processus stratégiques, comme l’élaboration de la stratégie de la direction, ne devraient pas être externalisés. Il existe également des processus qu’il est déconseillé d’externaliser pour des raisons de contrôle, comme les ordres de paiement. Dans le cadre de l’externalisation d’un processus de traitement des dettes découlant de livraisons et de prestations, le prestataire externe soumet généralement une proposition de paiement que le responsable interne doit valider. Les prestataires externes ne doivent pas avoir accès aux comptes bancaires.

Les grandes entreprises essaient de transférer les processus de service et les fonctions dans leur intégralité. Bien entendu, de nombreuses variantes intermédiaires existent, en particulier chez les PME. Ainsi, certaines entreprises n’externalisent que les entrées de commandes via un call center, d’autres seulement les réceptions de paiements de créances découlant de livraisons et de prestations et la gestion des rappels, et d’autres encore le processus déjà évoqué de traitement des dettes découlant de livraisons et de prestations jusqu’à l’autorisation de paiement. Cependant, l’externalisation de fonctions financières entières peut tout à fait être un business case judicieux, y compris pour une PME.

Plus les collaborateurs du prestataire seront rodés au processus, plus les déroulements seront automatisés, et plus les besoins en ressources diminueront et les bénéfices du prestataire augmenteront.

Sécurité opérationnelle

La sécurité opérationnelle est un troisième argument en faveur des services partagés. Prenons l’exemple d’une entreprise suisse qui gère une entité de vente au Portugal, avec dix collaborateurs dont un comptable. Que se passera-t-il s’il arrive quelque chose au comptable? Qui se chargera des prochains états financiers? Ce risque n’existe pas avec un CSP, car celui-ci dispose de nombreux collaborateurs capables d’établir des comptes annuels.

À l’inverse, l’insécurité opérationnelle peut aussi conduire à ne pas externaliser. On peut externaliser sans problème tout ce que l’on a bien compris et documenté. C’est surtout le cas des grandes entreprises dont les processus ont presque toujours atteint un niveau de maturité élevé. Les processus des petites entreprises ont souvent été développés en étant axés sur des personnes et sont encore peu industrialisés. Dans ce cas, la prudence est de mise car l’hétérogénéité des processus se reflète dans le prix de la prestation de service externe.

Stratégies de mise en œuvre

Une question récurrente se pose concernant les services partagés: quand faut-il optimiser les processus à externaliser? Trois options sont envisageables:

  • les processus sont d’abord optimisés puis transférés au nouveau site;
  • les processus sont d’abord transférés au nouveau site et ne sont optimisés qu’une fois sur place;
  • l’optimisation et l’externalisation des processus se déroulent simultanément.

Par le passé, on répondait la plupart du temps à cette question par la première option – d’abord optimiser puis externaliser. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, comme le montre l’étude de PwC publiée en 2014 «Shared Services – the Edge over». Une enquête internationale menée auprès de 100 entreprises qui représentent au total 377 centres de services a montré que 49 % d’entre elles privilégient la deuxième variante – d’abord externaliser puis optimiser. Les personnes interrogées se montrent en revanche plus dubitatives quant à la réussite de la troisième option: optimiser les processus tout en externalisant.

Cela révèle un aspect essentiel, en particulier pour les PME. L’externalisation et l’offshoring constituent des projets qui entraînent des changements culturels profonds. Les collaborateurs les ressentent souvent comme une menace, ce qui explique leur éventuel manque de motivation à optimiser des processus pour qu’on les leur enlève ensuite et qu’ils soient externalisés.

Conclusion

Les pressions sur les délais et les marges, le souhait et la nécessité de se recentrer sur ses compétences-clés et d’externaliser tout le reste dans la mesure du possible, ainsi que l’optimisation de la sécurité opérationnelle des processus sont autant de raisons expliquant pourquoi les services partagés ont encore de beaux jours devant eux.

Il existe toujours plus de prestataires hautement spécialisés qui offrent leurs services à un grand nombre de petites entreprises plutôt qu’à de grandes entreprises, faisant de l’externalisation une option intéressante pour les PME aussi. Cependant, les PME ne peuvent se financer des services partagés centralisés en interne et privilégient plutôt une externalisation à proximité (nearshoring) que dans un pays lointain (farshoring).

Souvent, les processus des PME n’ont pas encore atteint un niveau de maturité élevé et ne sont ni optimisés ni standardisés. Ils ne peuvent être externalisés que si le business case a été bien calculé.

Lors de l’externalisation, les PME en particulier doivent tenir compte du fait qu’elles déclenchent un tournant culturel. Si les intentions de la direction ne sont pas clairement expliquées, le risque est de perdre les collaborateurs qui ont un bon profil sur le marché du travail et qui trouvent le plus rapidement un nouvel emploi.

Une consolidation est prévisible chez les prestataires de PME, car ils doivent eux aussi miser sur de grandes quantités, et les prestataires sous-dimensionnés ne pourront plus faire face à la concurrence.

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Reto Brunner

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Partner, Advisory, PwC Switzerland

Tel : +41 58 792 14 19

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