Déterminer le traitement comptable adéquat requiert donc une analyse des caractéristiques pertinentes des actifs cryptographiques autres que les cryptomonnaies. Ces actifs cryptographiques comprennent les « security tokens », les jetons adossés à des actifs et les « utility tokens ».
- Les jetons adossés à des actifs peuvent donner au détenteur le droit à un actif sous-jacent. Ces jetons peuvent être utilisés pour transférer la propriété d’actifs sous-jacents sans les déplacer physiquement. Ils constituent un moyen d’effectuer une transaction avec l’actif sous-jacent à un coût minimal. Cela signifie que, dans ces cas-là, le traitement comptable dépendra probablement de la nature de l’actif sous-jacent et de la norme comptable pertinente.
- Les « utility tokens » donnent généralement droit à des biens ou services futurs pour le détenteur. Ces jetons constituent un remboursement anticipé pour des biens ou services. Un remboursement anticipé pour des biens ou des services peut correspondre à la définition d’une immobilisation incorporelle, et l’IAS 38 peut s’appliquer. Lorsqu’un « utility token » ne correspond pas à la définition d’une immobilisation incorporelle, il est comptabilisé d’une manière similaire à celle des autres actifs prépayés.
- Les « security tokens »peuvent donner au détenteur un droit à des liquidités, sur la base des bénéfices futurs de la plateforme ou d’un intérêt résiduel dans l’actif net. Ces droits peuvent être discrétionnaires ou obligatoires et peuvent être assortis d’un droit de vote permettant d’influer sur les décisions liées à la plateforme sous-jacente. Un droit contractuel à des liquidités ou à un autre actif financier peut exister dans ces circonstances, auquel cas ces « security tokens » correspondent à la définition d’un actif financier conformément à l’IFRS 9.
Les crypto-jetons qui présentent des éléments relevant de deux ou plusieurs sous-catégories requièrent une analyse complémentaire afin de déterminer le traitement comptable applicable. Les facteurs à prendre en considération incluent l’interaction des clauses contractuelles, ainsi que leur substance et leur pertinence dans le contexte des caractéristiques globales du jeton.
Fixation d’une norme possible
Plusieurs membres du Comité d’interprétation ont souligné que l’application de la norme IAS 38 Immobilisations incorporelles à la détention de cryptomonnaies ne permet pas d’obtenir des informations utiles. Selon eux, ni le modèle de coût ni le modèle de réévaluation – qui reconnaît des augmentations de la juste valeur dans d’autres éléments du résultat global – n’est idéal pour les cryptomonnaies. Ces membres du Comité voient les cryptomonnaies comme des investissements spéculatifs et soutiennent que c’est la juste valeur à travers le compte de résultat qui fournit les informations les plus utiles.
L’IASB a examiné un certain nombre de moyens pour traiter au mieux la comptabilité des cryptomonnaies. Les options retenues comprennent la mise en œuvre d’un projet visant à élaborer une norme spécifique, la suppression des cryptomonnaies du champ d’application de l’IAS 38 ou encore le report de toute activité de standardisation.
Lors de sa réunion de novembre 2018, l’IASB a relevé que les transactions impliquant des cryptomonnaies constituent un domaine en pleine expansion, et a aussi rappelé que, même si la détention de cryptomonnaies ne constitue actuellement pas un thème prédominant auprès des experts IFRS, elle pourrait le devenir, peut-être même dans un futur assez proche. Le Comité en a conclu que, pour l’instant, il n’y a pas lieu d’accorder aux cryptomonnaies une priorité plus élevée qu’à d’autres projets en cours d’élaboration ou encore dans le pipeline de recherche, et a décrété par conséquent de n’ajouter à l’ordre du jour aucun projet lié aux actifs cryptographiques. Il a ensuite décidé de demander au Comité d’interprétation d’examiner la publication d’une décision expliquant comment les entités devraient appliquer les normes IFRS existantes à la détention de cryptomonnaies. Une telle décision pourrait contribuer à limiter la diversité des pratiques.
Code suisse des obligations
Le traitement comptable des bitcoins – la cryptomonnaie la plus importante à l’heure actuelle – en vertu du Code suisse des obligations (CO) fait l’objet d’une Q&A publiée par EXPERTsuisse. La solution apportée dans la Q&A ne diffère guère du traitement comptable décrit plus haut conformément aux IFRS. EXPERTsuisse en a aussi conclu qu’il ne serait pas judicieux de considérer les bitcoins comme des liquidités.
Par analogie à l’argument invoqué en vertu des IFRS, la classification en tant que stocks peut être adéquate conformément au CO pour les entités (p. ex. courtiers) qui effectuent des transactions pour des montants de bitcoins conséquents dans le cadre de leur activité normale.
Contrairement aux IFRS, classer le bitcoin comme une immobilisation incorporelle n’est, en vertu du CO, pas la seule solution acceptable lorsque le classement en tant que stocks n’est pas jugé acceptable. Le bitcoin remplit les critères correspondant à une immobilisation incorporelle. Cependant, la Q&A conclut que la nature du bitcoin n’est pas celle d’une immobilisation incorporelle et qu’il est plus approprié de le traiter comme un investissement (même si le traiter comme une immobilisation incorporelle peut aussi se justifier).
Bien que le bitcoin ne corresponde pas à la définition d’un « titre négociable » (« Wertpapier »), il est possible de le classer comme un investissement pour la raison suivante. Le terme comptable « investissement » (« Wertschriften ») tel que décrit dans le Manuel suisse d’audit est plus large, incluant aussi l’or, d’autres métaux précieux et les matières premières. Par conséquent, il est considéré comme suffisamment large pour recouvrir également le bitcoin. Sur la base de ce postulat, il est judicieux de présenter le bitcoin comme un actif courant si le but est de détenir des bitcoins sur une courte période seulement, et non pas si les transactions en bitcoins font partie de l’activité ordinaire de l’entité. Il est judicieux de présenter le bitcoin comme un actif non courant si le but est de détenir un bitcoin sur une période prolongée.
Que le bitcoin soit considéré comme un investissement, un stock ou une immobilisation incorporelle, la cryptomonnaie peut être évaluée, dans les comptes établis selon le CO, soit au coût diminué de toute dépréciation de valeur, soit au prix courant observable sur un marché actif conformément à l’art. 960b.