Les rentes de la prévoyance professionnelle sont sous pression depuis un certain temps déjà. Cette situation s’explique par l’allongement de l’espérance de vie et les fluctuations des marchés financiers. Le 17 mars 2023, le Parlement a donc adopté la réforme de la prévoyance professionnelle (réforme LPP) dans le but de renforcer le financement du 2e pilier, de maintenir globalement le niveau des rentes et d’améliorer la couverture des personnes à temps partiel, en particulier des femmes. Les syndicats et les partis de gauche ont lancé avec succès un référendum contre cette réforme. C’est maintenant le peuple qui aura le dernier mot et devra se prononcer sur la réforme de la LPP en 2024. La réforme pourrait très probablement entrer en vigueur le 1er janvier 2026
Cet article vise à décrire de manière transparente et objective les principaux aspects de la présente réforme de la LPP, à quantifier son effet pour la population active suisse et à les replacer dans un cadre de référence qui offrira une meilleure vue d’ensemble de la réforme. Il s’attache également à identifier et à remettre en question les incitations discutables contenues dans cette réforme.
1. Le taux de conversion minimal est abaissé de 6,8 % à 6,0 %
2. Les bonifications de vieillesse sont réduites à partir de 35 ans, mais augmentées jusqu’à 34 ans
3. Le seuil d’accès à la caisse de pension est abaissé
4. La déduction de coordination est réduite et s’élève désormais à 20 % du salaire AVS
5. Une génération transitoire échelonnée sur 15 ans recevra un supplément de rente – financé par tous
Éléments clés de compréhension
La prévoyance professionnelle (LPP) se compose d’une part obligatoire, dans laquelle les salaires annuels sont assurés conformément aux prescriptions minimales légales, et d’une part surobligatoire (facultative), dans laquelle les caisses de pension peuvent assurer des prestations supplémentaires. Les points 1 à 4 de la révision LPP concernent donc toutes les caisses de pension qui assurent exclusivement le régime obligatoire LPP. En revanche, ces points ne peuvent pas être appliqués tels quels aux caisses de pension qui assurent des prestations surobligatoires : elles doivent s’assurer que leurs prestations totales correspondent au « nouveau » minimum LPP. Le point 5, relatif au financement des suppléments de rente, concerne en revanche toutes les caisses de pension et donc l’ensemble des assuré-e-s – indépendamment du fait que les prestations assurées soient obligatoires ou surobligatoires.
Schématisation de la réforme LPP
Situation de départ: Au cours de leur activité professionnelle, les employé-e-s et les employeurs versent à la caisse de pension des cotisations d’épargne créditées et rémunérées sous forme de bonifications de vieillesse qui sont intégrées à l’avoir de vieillesse personnel. Au moment de la retraite, l’avoir de vieillesse disponible est soit versé sous forme de capital, soit converti en une rente de vieillesse viagère. La conversion de l’avoir de vieillesse épargné en rente est déterminée par le taux de conversion, que la révision de la LPP prévoit d’abaisser de 6,8 % à 6,0 % dans le régime obligatoire. Si le capital vieillesse obligatoire s’élève par exemple à CHF 100 000, la rente versée serait désormais de CHF 6000 par an au lieu de CHF 6800 actuellement.
L’abaissement du taux de conversion minimal LPP n’entraîne une réduction des rentes que pour les personnes assurées uniquement selon le minimum LPP. Concrètement, cela représente environ 14 % de toutes les personnes assurées. La réduction prévue du taux de conversion n’affectera pas les autres – soit approximativement 86 %. Ces personnes ont déjà un taux de conversion plus bas aujourd’hui (la médiane est de 5,3 %).
Nombre de personnes assurées actives | |
Total Suisse (2022) |
4'619’879 |
Visé-e-s par le point 1 de la révision de la LPP |
14 % |
Source : Office fédéral de la statistique / ASIP
Situation de départ: La bonification de vieillesse est le montant qui est crédité – conjointement aux intérêts – sur l’avoir de vieillesse d’une personne assurée. Les taux sont fixés en pourcentage du salaire annuel coordonné et dépendent de l’âge de la personne assurée; l’employeur doit financer au moins la moitié des bonifications de vieillesse.
La réforme de la LPP prévoit un lissage des bonifications de vieillesse, qui devrait notamment inciter les employeurs à embaucher et à maintenir en activité les personnes de plus de 55 ans:
Actuel
Âge | Taux |
25 - 34 | 7% |
35 - 44 | 10% |
45 - 54 | 15% |
55 - 65 | 18% |
Réforme LLP
Âge | Taux |
25 - 44 | 9% |
45 - 65 | 14% |
Dans la pratique, il existe une multitude de modalités de versement des bonifications de vieillesse par les employeurs et les employé-e-s. En fin de compte, il faut respecter au moins les dispositions susmentionnées relatives au régime obligatoire de la LPP.
Situation de départ: Pour qu’une personne soit assurée à titre obligatoire par la prévoyance professionnelle, elle doit actuellement percevoir un salaire annuel d’au moins CHF 22 050 auprès d’un employeur. Ce seuil doit être abaissé à CHF 19 845 dans le cadre de la réforme de la LPP, afin de faciliter l’entrée plus rapide dans la LPP des personnes travaillant à temps partiel ou cumulant plusieurs emplois.
Avec la présente réforme de la LPP, environ 70 000 nouveaux/nouvelles employé-e-s et 30 000 personnes exerçant plus emplois seront assuré-e-s à titre obligatoire en raison de contrats de travail supplémentaires. Les coûts sont estimés à environ CHF 100 millions, dont CHF 15-25 millions de frais administratifs.
Nombre de personnes assurées |
Cotisations employées/employeur |
Frais administratifs (sans frais de gestion de la fortune) |
|
Total (2022) | 4'619'879 | CHF63,0 mrd | CHF1,0 mrd (env. CHF 216 par personne et par an) |
Concernées par la révision de la LPP |
env. 100'000 (1,5%) |
env. CHF 100 mio. (0,2 %) |
env. CHF 15-25 mio. (1,5 % – 2,5 %) (env. CHF 150 et CHF 250 par personne et par an) |
Situation de départ : La prévoyance vieillesse en Suisse repose sur le système des trois piliers à la solidité éprouvée. À l’origine, le deuxième pilier (prévoyance professionnelle, LPP) devait permettre, avec le premier pilier (AVS), de maintenir le niveau de vie habituel. Afin de coordonner les deux piliers, seules les parts de salaire qui ne sont pas déjà assurées dans l’AVS sont assurées dans le deuxième pilier. Ces parts sont calculées en déduisant du salaire AVS la déduction de coordination actuellement fixée à 25 725 CHF (jusqu’au salaire maximal LPP de 88 200 CHF).
La réforme de la LPP prévoit de réduire cette déduction de coordination, qui s’élèvera désormais à 20 % du salaire AVS. L’objectif est de toujours assurer 80 % du salaire (jusqu’au salaire maximal LPP de 88 200 CHF). Cela améliorerait notamment la situation des employé-e-s à temps partiel, car la déduction de coordination fixe ne serait plus déduite dans le domaine obligatoire. Le revenu assuré dans la prévoyance professionnelle augmenterait en conséquence.
Des enquêtes ont montré qu’actuellement, seules 12 % des caisses appliquent la déduction de coordination légale, de sorte que seul-e-s 20 % des assuré-e-s sont concerné-e-s. Les autres caisses de pension utilisent déjà aujourd’hui leur marge de manœuvre dans l’intérêt de leurs bénéficiaires et appliquent des déductions variables sous différentes formes voire renoncent complètement à la déduction de coordination.
Nombre de caisses |
Nombre de personnes assurées concernées |
|
Total (2022) | 1'353 | 4'619'879 |
Concernées par la révision de la LPP |
162 (12%) | 923'976 (20%) |
Situation de départ: En principe, la réduction de la déduction de coordination et l’adaptation des bonifications de vieillesse compensent largement la baisse du taux de conversion minimal LPP sur toute la durée de cotisation. Cela n’est toutefois pas le cas pour les personnes actives qui prendront leur retraite dans les prochaines années et qui risquent donc de voir leur rente diminuer. Afin de limiter les diminutions de rentes, des mesures de compensation sous forme de suppléments de rentes sont donc prévues pour cette « génération transitoire » qui regroupe 15 années de naissance:
Les suppléments varient en fonction de l’avoir de vieillesse:
Autres conditions à remplir pour bénéficier d’un supplément de rente:
Exemple: Une personne assurée de la génération transitoire appartenant aux cohortes de nouveaux retraités 6-10 (nés entre 1966 et 1970) dispose d’un avoir de CHF 200 000 au moment de la retraite et remplit également les autres conditions requises. Elle reçoit ainsi un supplément de CHF 150, et ce indépendamment du fait que la rente de vieillesse de sa propre caisse de pension diminue ou non (principe dit d’imputation).
L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) estime qu’environ 25 % des assuré-e-s de la génération transitoire recevront un supplément de rente complet et 25 % un supplément de rente réduit. Environ 50 % des assuré-e-s disposent d’un avoir de vieillesse de plus de CHF 441 000 ou ne remplissent pas les autres conditions d’octroi, et ne reçoivent donc pas de supplément de rente. Les suppléments de rente pour les 15 cohortes de la génération transitoire s’élèvent à environ CHF 11,3 milliards capitalisés pour l’ensemble de la Suisse.
Les suppléments de rente capitalisés à hauteur d’environ CHF 11,3 milliards doivent être payés par chaque caisse de pension et par chaque personne, qu’elle touche ou non de l’argent. Ils seront financés par une cotisation calculée en fonction du salaire, jusqu’à CHF 339 par personne et par an. Si l’institution de prévoyance prélève une nouvelle cotisation à cet effet, l’employeur devra en verser au moins la moitié.
En Suisse, mi-2023, quelque 5,3 millions de personnes exerçaient une activité professionnelle, et 4,6 millions d’entre elles étaient assurées dans le cadre de la prévoyance professionnelle.
La structure d’âge de la population active se présente comme suit:
Source : Office fédéral de la statistique
Plus de 8 % des personnes actives ont entre 15 et 25 ans, 58 % sont âgées de 25 à 50 ans et près de 32 % font partie de la « génération transitoire » et sont âgées de 50 à 65 ans. L’ensemble des suppléments de rente capitalisés, soit environ CHF 11,3 milliards, est donc principalement financé par les 2,6 millions de jeunes actifs (= 58 %) âgés de 25 à 50 ans, tandis que les actifs de plus de 50 ans (32 %) ne doivent assumer le financement des suppléments de rente que jusqu’à la retraite.
Comme mentionné plus haut, l’OFAS estime que parmi ces 32 % d’assuré-e-s appartenant à la génération transitoire, seule la moitié, soit 16 %, a droit à un supplément de rente complet. Plus des deux tiers des actifs financent ainsi un supplément de rente pour une minorité de personnes âgées de 50 à 65 ans, dont seule une fraction pourrait subir une réduction de rente (voir chapitre 1. Abaissement du taux de conversion minimal LPP). Pour la majorité de la génération transitoire, le supplément de rente n’est donc pas une compensation de la baisse de leur rente, mais une augmentation de leur rente au détriment de la jeune génération.
Étant donné qu’aucune mesure n’est prévue pour vérifier si la rente diminue effectivement, certaines personnes reçoivent des rentes plus élevées (exemples types 2 et 4) et d’autres des rentes plus basses (exemples types 1 et 3).
Données en CHF |
Ancienne LPP |
Nouvelle LPP | Description |
Salaire AVS |
80'000 | 80'000 | |
Salaire assuré LPP |
54'275 | 64'000 | La réduction de la déduction de coordination fait effet |
Avoir de vieillesse avec la réforme | 200'000 | 200'000 | Âge 55 au moment de la réforme |
Avoir de vieillesse retraite à 65 ans | 323'000 | 315'000 | Pas d’évolution du salaire, 1 % d’intérêt |
Rente de vieillesse LPP | 21'964 | 18'900 | Salaire assuré plus élevé, mais cotisations plus faibles |
Supplément sur la rente LPP | 700 | Estimation, réduction linéaire | |
Rente LPP plus supplément | 21'964 | 19'600 | |
Différence avec l’ancienne LPP |
- | -2'364 | Rente inférieure malgré le supplément |
(-197 CHF par mois) |
Données en CHF |
Ancienne LPP |
Nouvelle LPP |
Description |
Salaire AVS |
50'000 | 50'000 | |
Salaire assuré LPP | 24'275 | 40'000 | La réduction de la déduction de coordination fait effet |
Avoir de vieillesse avec la réforme | 100'000 | 100'000 | Âge 55 au moment de la réforme |
Avoir de vieillesse retraite à 65 ans | 156'000 | 169'000 | Pas d’évolution du salaire, 1 % d’intérêt |
Rente de vieillesse LPP | 10'608 | 10'140 | Salaire assuré plus élevé, mais cotisations plus faibles |
Supplément sur la rente LPP | 1'200 | Supplément max. selon transition | |
Rente LPP plus supplément | 10'608 | 11'340 | Plus élevée qu’avant la réforme |
Différence avec l’ancienne LPP | - | 732 | Rente plus élevée avec le supplément |
(+61 CHF pro Monat) |
Données en CHF | Ancien plan |
Nouveau plan |
Description |
Salaire AVS | 80'000 | 80'000 | |
Salaire assuré LPP | 54'275 | 64'000 | La réduction de la déduction de coordination fait effet |
Avoir de vieillesse réglementaire | 300'000 | 300'000 | Âge au moment de la réforme |
Avoir de vieillesse selon la LPP | 200'000 | 200'000 | |
Avoir de vieillesse retraite à 65 ans | 465'000 | 465'000 | Pas d’évolution du salaire, 1 % d’intérêt |
dont avoir de vieillesse LPP | 323'000 | 315'000 | Salaire assuré plus élevé, mais cotisations plus faibles |
Taux de conversion réglementaire | 5.0% | 5.0% | |
Rente de vieillesse selon règlement | 23'250 | 23'250 | |
Rente de vieillesse LPP | 21'964 | 18'900 | |
Supplément sur la rente LPP | - | - | Pas de supplément, avoir de vieillesse trop élevé |
Rente LPP plus supplément | 21'964 | 18'900 | Rente LPP inférieure |
Différence avec l’ancien plan | - | - | Rente équivalente selon le plan |
Données en CHF | Ancien plan | Nouveau plan | Description |
Salaire AVS | 50'000 | 50'000 | |
Salaire assuré LPP | 24'275 | 40'000 | La réduction de la déduction de coordination fait effet |
Avoir de vieillesse réglementaire | 120'000 | 120'000 | Âge 55 au moment de la réforme |
Avoir de vieillesse selon la LPP | 100'000 | 100'000 | |
Avoir de vieillesse retraite à 65 ans | 218'000 | 218'000 | Pas d’évolution du salaire, 1 % d’intérêt |
dont avoir de vieillesse LPP | 156'000 | 169'000 | Le salaire assuré plus élevé fait effet |
Taux de conversion réglementaire | 5.0% | 5.0% | |
Rente de vieillesse selon règlement | 10'900 | 10'900 | |
Rente de vieillesse LPP | 10'608 | 10'140 | |
Supplément sur la rente LPP | - | 1'200 | Droit au supplément maximum (plan égal) |
Rente du plan plus supplément | 10'900 | 12'100 | La rente LPP ne joue aucun rôle |
Différence avec l’ancien plan | - | 1'200 | Rente équivalente selon le plan |
Il y a quand même un supplément |
L’objectif du deuxième pilier est d’épargner individuellement le plus de capital possible dans le cadre d’une retraite par capitalisation et de percevoir des intérêts aussi élevés que possible. En liant les suppléments de rente prévus au capital d’épargne disponible, la présente réforme de la LPP engendre de fausses incitations qui vont à l’encontre de l’esprit de la LPP. Elles peuvent se résumer comme suit:
La présente réforme de la LPP aborde quelques éléments clés importants. Ainsi, l’abaissement du taux de conversion réduit la redistribution indésirable des travailleurs actifs vers les bénéficiaires de rentes, renforce le processus d’épargne LPP ou améliore la situation de la prévoyance dans le segment des bas salaires et du temps partiel. Mais cette réforme profitera également à celles et ceux qui ne sont pas directement concerné-e-s par la réforme de la LPP, mais recevront tout de même un supplément de rente. On peut tout de même se demander si le prix à payer est justifié: nouvelle redistribution non conforme au système au détriment des jeunes générations, fausses incitations à l’épargne de prévoyance individuelle, complexité accrue de la prévoyance professionnelle et financement croisé entre les caisses de pension. Et ce, d’autant plus que la grande majorité des caisses de pension ont déjà enclenché des mesures de réforme.
Au vu des querelles politiques qui entourent la réforme de la LPP, il est légitime de se demander s’il existe des alternatives. Mais seraient-elles encore audibles sur la scène politique? N’est-il pas plus prometteur d’aborder le développement de la prévoyance professionnelle sous un angle dépolitisé et d’en confier la responsabilité aux entreprises elles-mêmes?
La grande majorité des institutions de prévoyance mettent déjà en œuvre des mesures qui vont au-delà des prescriptions minimales légales dans la prévoyance professionnelle. Et alors même que le débat se concentre actuellement sur la durabilité, la manière dont une entreprise gère l’allongement de l’espérance de vie et réfléchit à un modèle intergénérationnel équitable lui permet non seulement de se distinguer face à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, mais aussi de se démarquer de la concurrence. Pour ce faire, il est indispensable de fournir des informations transparentes, honnêtes et basées sur des faits, et de sensibiliser le public à la prévoyance professionnelle.
Mia Mendez
Geschäftsführerin der Pensionskassen Mitarbeitende und Partner, Mitglied im Vorstand ASIP, PwC Switzerland
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