Les marques et la nouvelle réglementation Swissness

Natascha Tsalas Head of Intellectual Property (IP), PwC Switzerland

La Suisse est un gage de qualité, de tradition et de fiabilité, et son image est largement utilisée, parfois à tort. Les questions suivantes se sont alors posées : qu’en est-il de l’usage frauduleux d’indications de provenance par l’intégration dans la marque d’éléments distinctifs renvoyant à la Suisse (Swissness) ? L’abus des symboles suisses nuit-il à la réputation et la crédibilité de la Suisse ?

Le Parlement suisse a répondu à ces questions par la réforme législative Swissness qui définit désormais clairement l’usage des indications faisant référence à la Suisse, que ce soit pour un produit ou pour des services.

La réforme législative « Swissness », en vigueur depuis le 1er janvier 2017, a pour objet la révision de la loi sur la protection des marques et des indications de provenance (LPM) et de la loi fédérale sur la protection des armoiries de la Suisse et des autres signes publics (LPAP), ainsi que l’adoption de quatre ordonnances d’exécution arrêtées le 2 septembre 2015.

Quelles sont les grandes lignes de la législation Swissness ?

Indications de provenance géographique

La législation Swissness a introduit les conditions qui doivent être remplies pour que l’on puisse apposer la mention « Suisse » ou la croix suisse sur un produit ou un service.

Pour des services, l’organisation fournissant les services doit avoir son siège ainsi que son site administratif réel en Suisse. Il s’agit de conditions cumulatives.

Pour des produits, la loi distingue trois catégories :

  • les produits naturels (légumes, viande, eau minérale, etc.), qui doivent posséder un lien fort avec le sol suisse (par exemple, lieu d’élevage pour les poissons d’élevage, lieu où les animaux ont passé la majeure partie de leur existence pour la viande ou encore lieu de récolte pour les produits végétaux) ;
  • les denrées alimentaires, où d’une part, 80 % au moins du poids des matières premières ou des ingrédients qui les composent doivent provenir de Suisse (100 % en ce qui concerne le lait et les produits laitiers) ; et d’autre part, la transformation qui a conféré au produit ses caractéristiques essentielles doit se dérouler en Suisse. Des exceptions sont prévues pour les produits qui n’existent pas en Suisse, comme le café ou le cacao, pour les produits qui viennent à manquer momentanément ainsi que pour les matières premières indisponibles en quantité suffisante ; 
  • les autres produits, notamment industriels, où l’activité qui a conféré au produit ses caractéristiques essentielles, ou au moins une étape significative de la fabrication du produit, doit s’être déroulée en Suisse et où 60 % du coût de revient doivent être réalisés en Suisse. Le coût de revient correspond notamment aux coûts relatifs à la fabrication, à l’assemblage, à la R&D et à l’assurance de qualité et certification. Sont exclus les coûts d’emballage, de transport ou de commercialisation qui ne contribuent pas directement à la fabrication du produit.
La croix suisse et les armoiries

La loi établit une distinction entre la croix suisse et les armoiries suisses. La croix suisse peut être utilisée aussi bien pour des produits que des services, à condition que ceux-ci remplissent les critères fixés pour les indications de provenance. La croix peut également être utilisée à but décoratif, comme sur un tee-shirt ou un article de souvenir, dès lors que le consommateur ne la perçoit pas comme une indication de provenance géographique.

L’utilisation des armoiries de la Confédération, des cantons et autres collectivités publiques est exclusivement réservée à ceux-ci, sauf exception prévue par la loi.

Protection des appellations d’origine

L’utilisation des appellations d’origine est définie par l’ordonnance sur l’utilisation des indications de provenance suisses pour les denrées alimentaires et l’ordonnance sur le registre des appellations d’origine et des indications géographiques pour les produits non agricoles.

Les appellations d’origine (AOP, AOC, IGP) protègent de manière spécifique les produits agricoles et produits agricoles transformés (produits laitiers, légumes, viande, salaisons, etc.) quand la production, la transformation et l’élaboration se font dans une aire géographique délimitée et dans le respect du cahier des charges correspondant (par exemple, le Gruyère AOC).

Un registre fédéral des AOP et IGP est tenu par l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG). Un registre des indications géographiques pour les produits non agricoles est également tenu. Ainsi, d’autres produits, tels que les montres et les couteaux, peuvent être enregistrés moyennant le respect du cahier des charges correspondant. Cet enregistrement permet une protection internationale renforcée dans la mesure où de nombreux pays exigent la délivrance d’un titre officiel pour accorder la protection sur leur territoire aux indications géographiques concernées.

Les groupements ayant obtenu l’enregistrement d’une AOP ou d’une IGP ont également la possibilité de l’enregistrer en tant que marque géographique. De tels enregistrements de marque sont accompagnés d’un règlement qui correspond au cahier des charges et seules les personnes respectant ce règlement peuvent utiliser la marque géographique. Par ailleurs, ces marques géographiques ne peuvent pas être transférées et ne peuvent pas faire l’objet de licence. Enfin, l’usage de ces marques ne requiert pas d’autorisation particulière, toutefois leur usage par une personne contrevenant au règlement peut être interdit.

Sanctions en cas d’abus
  1. Qualité pour agir
    Les personnes lésées, les associations professionnelles, les organisations de protection des consommateurs ainsi que l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle sont habilités à dénoncer pénalement les infractions pour le compte de la Confédération et à intenter une action civile.
     
    Les indications de provenance inexactes ne sont pas uniquement poursuivies sur plainte, mais aussi d’office, ce qui signifie que le procureur peut se saisir suite à une enquête ou sur simple dénonciation.
  2. Actions
    Sur le plan civil, les personnes lésées, les associations professionnelles et des organisations de protection des consommateurs, ainsi que l’Institut Fédéral de la Propriété Intellectuelle peuvent user d’une action en constatation (art.52 LPM) ou d’une action en exécution d’une prestation (art.55 al.1 LPM). Les personnes lésées peuvent également agir grâce à l’action en cession du droit de la marque (art. 53 LPM).

    D’un point de vue pénal, lorsqu’un tiers viole le droit à la marque d’autrui ou en use de manière frauduleuse, le lésé peut déposer une plainte auprès du Ministère public.
  3. Sanctions
    Les conséquences pour les auteurs d’infractions sont nombreuses. L’autorité peut notamment prononcer la constatation d’un droit, une peine pécuniaire de CHF 100 000 ainsi qu’une peine de privation de liberté d’un an au plus. En outre, ces peines sont susceptibles d’être assorties de mesures de confiscation de tous les objets sur lesquels une marque ou une indication de provenance a été frauduleusement apposée.

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