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La pandémie du coronavirus nous confronte tous à des défis d’une ampleur que beaucoup d’entre nous n’ont jamais connue. Comme presque tous les pays du monde, la Suisse a pris des mesures radicales pour endiguer la propagation du virus. Les restrictions de liberté de circulation, de l’autodétermination et de la liberté économique produisent timidement leurs effets. La courbe des infections s’aplatit légèrement et le débat actuel porte essentiellement sur comment sortir de cette situation de crise de manière ordonnée et retrouver une normalité sociale et économique sans compromettre les premiers succès de lutte contre le Covid-19. Mais cette situation nous offre aussi l’opportunité de sortir renforcés de la crise, d’établir de nouveaux modèles de vie et de travail à moyen et long terme, de remédier aux faiblesses mises en évidence et, ainsi, de mieux réagir aux défis futurs. En raison de son système politique, de son fédéralisme bien ancré qui va de pair avec le principe de subsidiarité, de son ordre économique libéral, de ses solides relations diplomatiques, de sa capacité d’innovation et enfin de l’esprit d’entreprise de ses citoyens, la Suisse offre des conditions-cadre particulièrement favorables qu’il s’agit maintenant d’exploiter. Le présent document explore ces opportunités et souhaite contribuer à ce débat important en montrant par le biais de sept thèses les mesures qui peuvent permettre à la Suisse, en tant qu’État et en tant qu’économie, de sortir renforcée de la crise actuelle.
Pour gérer la crise, le gouvernement a pris assez rapidement des mesures importantes afin de soutenir généreusement l’économie, essentiellement là où une intervention immédiate était nécessaire pour faire face à la crise. Citons notamment l’octroi non bureaucratique de crédits ou l’extension et la mise en oeuvre rapides du chômage partiel. Ces démarches ont été effectuées dans une position de force qui repose sur un modèle de réussite éprouvé et un budget de l’État stable. À cet égard, citons notamment le frein à l’endettement, instrument que le peuple souverain a inscrit dans la constitution en 2001 et qui garantit la discipline budgétaire.
Mais à court et moyen terme, l’endettement de l’État augmentera et le taux d’endettement qui se situe à 26,8 % en 2019, soit un niveau très bas en comparaison internationale, sera soumis à des pressions, non seulement en raison des dépenses accrues dues au programme d’intervention, mais aussi à cause de la baisse des recettes fiscales. On s’attend ainsi à ce que le PIB diminue de 6,7 % en 2020. La lourde charge qui pèse sur les finances publiques est une réalité. Alors que la protection de l’État était nécessaire pour gérer la crise immédiatement (entre autres grâce à la loi sur les épidémies de 2010, telle que modifiée), la proportionnalité de ces interventions fait maintenant l’objet de débats. Un ordre économique libéral ne peut pas privatiser les bénéfices à long terme, mais répartir les risques au sein de la société. Il s’agit ici de revigorer le principe de l’autoresponsabilité au niveau des individus, mais aussi des entreprises.
Sur la base de son concept de l’État, qui repose sur le fédéralisme et le principe de subsidiarité, le libéralisme, la concordance et la démocratie directe, et le système de milice encore bien ancré, ainsi que du vigoureux esprit d’entreprise de ses habitants, la Suisse peut réagir aux défis relatifs au budget de l’État et à la récession prévue de manière ciblée et conforme aux besoins. Il convient de promouvoir ces atouts.
Mais la crise a également révélé le fait que la collaboration entre les différents acteurs pourrait être améliorée dans certains domaines et qu’un modèle de réussite doit constamment être perfectionné et adapté aux nouvelles conditions-cadre.
Si nous pallions les faiblesses identifiées et renforçons les forces avérées, nous serons, malgré les difficultés engendrées par la crise, de nouveau en mesure de relever les défis à long terme de la Suisse, qu’ils concernent notre système de prévoyance, la transition énergétique, le financement du secteur de la santé ou les relations avec l’Union européenne et la communauté internationale. Précisément pendant cette crise, l’engagement de la Suisse en faveur de ses principes démocratiques fondamentaux et de la collaboration internationale est crucial pour l’image interne et externe de notre pays.
La restriction de la liberté de circulation pendant la crise a montré que le travail virtuel pouvait fonctionner, dans les secteurs où on le pratiquait déjà (vidéoconférences professionnelles ou offres de formation en ligne), mais aussi dans des domaines où l’interaction virtuelle n’était pas largement acceptée auparavant (p. ex. consultations médicales).
La crise du Covid-19 a également montré à quel point la gestion suisse est vulnérable quand elle ne peut plus collaborer physiquement à cause de crises, et ce tant au niveau de l’administration que de l’activité politique.
Les sessions parlementaires ont dû être interrompues et de nombreux offices et organes politiques ont perdu leur capacité d’action du fait que les processus de travail n’étaient pas numérisés, qu’il existait des obstacles techniques et administratifs, et que les dirigeants et collaborateurs n’étaient pas préparés à une collaboration virtuelle. De nombreux organes politiques (notamment les parlements) ne peuvent toujours pas tenir de réunions virtuelles et leurs décisions seraient donc formellement caduques. Le canton de Soleure a déjà réagi pendant la crise en donnant aux communes, au moins temporairement, le pouvoir de prendre des résolutions formellement valides en l’absence des membres des autorités, donc en présence virtuelle simultanée à l’aide de moyens techniques (conférence téléphonique ou vidéo, Chat ou moyens similaires) ou par voie de circulaire (par courrier ou e-mail). Vis-à-vis de la population et des entreprises, les pouvoirs publics ont également simplifié les conditions- cadre juridiques et, par exemple, autorisé temporairement la possibilité générale d’une identification par vidéo pour l’enregistrement de signatures électroniques.
Les expériences faites pendant la crise du coronavirus ont mis en évidence la nécessité impérative de la transition numérique et de l’instauration de nouveaux modèles de travail et ont sensibilisé les particuliers, les entreprises, l’administration et le monde politique sur cette nécessité. De plus, de nombreuses autorités (mais aussi entreprises privées et institutions de formation) ont réagi rapidement à cette situation et développé des solutions numériques pour leurs services (p. ex. processus de chômage partiel dans le canton de Zurich, application pour les bénévoles dans le canton de Thurgovie). Les institutions politiques peuvent profiter de cette dynamique pour accélérer encore plus la transformation numérique aux trois niveaux de l’État en s’appuyant sur les nombreux efforts déjà déployés, afin d’être mieux équipées pour affronter la prochaine crise, mais aussi pour rendre le système de l’État au sens large plus efficace, intelligent, innovant et axé sur les besoins (p. ex. poursuite du développement d’interfaces numériques entre les entreprises et l’administration pour les impôts directs, comptes de citoyens numériques, possibilités de participation numérique). Cela implique que l’on fasse les investissements requis dans les compétences des collaborateurs, les services de base (p. ex. eID et signature électronique) et l’infrastructure (p. ex. élargissement de l’infrastructure à haut débit).
L’un des facteurs clés de la réussite à cet égard réside dans la collaboration entre la Confédération, les cantons et les communes. Avec le projet de renforcement de la collaboration entre la Confédération, les cantons et les communes en matière d’administration numérique, la décision de faire un pas significatif dans cette direction a été prise au beau milieu de la crise. Par ailleurs, l’administration fédérale optimise en interne le pilotage interdépartemental de la transition numérique et de l’informatique avec la « nouvelle organisation de la transformation numérique et de la gouvernance de l’informatique dans l’administration fédérale », approuvée début avril également. D’autres facteurs clés de succès incluent des échanges étroits avec l’économie privée, la recherche et l’enseignement, ainsi que la promotion de la pensée de plateforme et d’écosystème au sein du secteur public, de l’économie privée et de la communauté scientifique, et entre ces sphères.
La crise actuelle a mis en évidence la vulnérabilité des chaînes d’approvisionnement internationales. Cela est loin de se limiter aux produits qui sont fabriqués à l’étranger ou qui dépendent d’approvisionnements en provenance de l’étranger. En effet, certains pays ont aussi bloqué des livraisons garanties contractuellement et retenu des transits, invoquant le droit de nécessité. Le commerce mondial a nettement décliné, du moins temporairement. La production locale a pu compenser ces manques, mais avec des délais, entraînant ainsi des pénuries de divers produits.
Étant un pays exportateur, la Suisse dépend fortement de circuits commerciaux opérationnels et de la collaboration internationale, ce qui explique que la situation actuelle soit aussi pesante. L’approvisionnement est difficile, mais de nombreux débouchés importants sont aussi pratiquement inaccessibles à l’heure actuelle.
La Suisse dispose d’un excellent réseau diplomatique et, malgré son importance économique relativement modeste à l’échelle mondiale, bénéficie de fortes relations et conventions commerciales au sein de la communauté internationale. En conjonction avec son économie à orientation internationale et ses relations, la Suisse peut exploiter cette position afin d’adapter les conventions internationales et rendre les chaînes d’approvisionnement plus robustes, redondantes et capables de résister à des crises graves ou à des failles régionales de moindre ampleur. L’objectif serait de pouvoir maintenir la production ou l’expédition en cas de rupture à court ou long terme de la chaîne d’approvisionnement. Cela offre à la Suisse l’opportunité de jouer un rôle pionnier dans la stabilité de la production et des livraisons.
En matière de commerce international, trois thèmes sont au coeur du débat. Premièrement, la protection de la chaîne d’approvisionnement doit être garantie tout au long des circuits commerciaux. La Suisse devra trouver des solutions à cette fin avec ses principaux partenaires commerciaux, mais aussi avec la communauté des nations au sein des organes internationaux. Cela inclut le traitement harmonisé même en cas de crise ou de droit de nécessité et doit empêcher les achats de précaution de biens rares, y compris au niveau de l’État, par exemple par le « détournement » de livraisons garanties contractuellement. Deuxièmement, la Suisse devrait s’engager, au niveau politique, à conclure des conventions internationales ou bilatérales visant la collaboration en temps de crise et concernant les rapports avec les fournisseurs et les débouchés critiques. Plus les différents scénarios seront pris en compte tôt et clarifiés avec ces partenaires, plus on sera en mesure de réagir rapidement en cas de crise. Troisièmement, la définition des réserves obligatoires devrait être adaptée. Bien que la politique de réserves obligatoires ait plus de 200 ans d’histoire et ait été ajustée dans les années 1980, cette dernière crise a mis en évidence le besoin d’adaptation. Les entreprises d’importance systémique seront ainsi priées de vérifier de manière critique leurs chaînes d’approvisionnement et leurs circuits de distribution en vue de se préparer à d’éventuelles ruptures de ces canaux.
Mais le renforcement de la collaboration internationale ne devrait pas se limiter au commerce. Dans certains pays, la crise a renforcé le rejet déjà croissant du multilatéralisme et l’attrait d’approches protectionnistes et nationalistes. Cette crise a toutefois souligné l’importance de la collaboration internationale pour la gestion des défis transfrontaliers. D’importants sujets axés sur l’avenir devraient donc revenir parmi les priorités de la communauté internationale après la crise. Outre les questions de développement durable, de biodiversité et de sécurité, il s’agit de projets concrets comme l’établissement de nouvelles règles internationales de pilotage économique à l’ère du numérique.
L’économie suisse se caractérise par une énorme capacité d’innovation et a pu se classer en position de leadership mondial au cours des dernières années malgré la vigueur du franc suisse (voir par exemple à ce sujet l’Indice mondial de l’innovation). Le système de formation professionnelle, les rapports étroits entre la recherche et l’économie et entre les start-ups et les grands groupes, ainsi que la disposition marquée à fonder de nouvelles entreprises sont les piliers fondamentaux de ce succès.
La pandémie et les restrictions qui en découlent ont mis sous pression l’économie de tous les pays européens.
Les coûteuses mesures de soutien du commerce national et de la production ainsi que de la protection sociale obligeront nos voisins européens à limiter leurs dépenses de recherche et développement pendant longtemps.
Cela offre à la Suisse une précieuse opportunité de consolider son avance dans les domaines clés grâce à une promotion ciblée avec les instruments existants ou par de nouveaux moyens.
Il s’agit maintenant d’engager un débat commun entre les entreprises, la recherche et le monde politique pour savoir si, dans les structures existantes et fructueuses de promotion (Fonds national suisse, Innosuisse, programmes cantonaux et communaux), il faut repenser ou élargir les thèmes clés et développer des instruments à la suite de la crise. En même temps, il convient de vérifier quelles conditions-cadre, incitations et infrastructures sont nécessaires à cette fin, sans oublier que de nombreuses entreprises ont subi des difficultés financières pendant la crise et ont donc moins de moyens à disposition pour l’innovation. Une première étape franchie pendant la crise est entre autres le soutien complémentaire pour les start-ups innovantes. À plus long terme, la création de conditions-cadre pour les modèles de l’économie de plateforme (p. ex. en matière de Smart Mobility) fait par exemple partie des orientations possibles. Une autre condition-cadre très concrète serait l’évaluation pragmatique, par les autorités fiscales, des instruments d’allègement fiscal introduits au début de 2020 avec la réforme de la fiscalité des entreprises pour soutenir les activités d’innovation. Comme on l’a évoqué dans la thèse 1, ces mesures devraient aussi mettre l’accent sur les forces existantes du modèle de réussite suisse. D’une part, la conjugaison de mesures au niveau fédéral et aux niveaux cantonal et communal, une large intégration des différents acteurs et des processus non bureaucratiques sont des facteurs clés de succès.
D’autre part, la Suisse occupe déjà de fortes positions dans de nombreux domaines (p. ex. Life Sciences, Fintech). Il s’agit de les consolider, mais aussi de mettre davantage l’accent sur de nouveaux secteurs (voir par exemple la thèse 5 sur le développement durable).
Une grande importance doit ici être accordée au domaine de la formation, donc aux écoles, aux hautes écoles, à la formation professionnelle et au perfectionnement. À ce niveau, il faudra faire des ajustements concernant le contenu et les structures pour garantir à la Suisse un avantage à long terme.
En ce qui concerne le contenu, on continuera surtout à promouvoir systématiquement les matières MINT (mathématiques, informatique, sciences naturelles et technique). On a aussi démontré qu’en dehors des connaissances techniques, les compétences sociales, et notamment la capacité de travailler dans des équipes interdisciplinaires et de s’adapter rapidement, sont critiques dans un monde du travail en pleine mutation. Il faut poursuivre la sensibilisation sur l’importance du perfectionnement et de la formation permanente.
Au niveau des structures, l’offre de formations doit progresser de pair avec la flexibilisation croissante du monde du travail. Les modèles de formation à long terme et les cours présentiels classiques à heures fixes doivent être complétés par des offres virtuelles et modulaires plus flexibles. Pendant la crise, de nombreux établissements de formation ont montré à différents niveaux qu’un tel transfert était possible dans de nombreux domaines. Il faut profiter de cette dynamique. Les offres de formation peuvent ainsi être conçues à moindre coût et de manière plus axée sur les besoins et sur la demande, avec pour conséquences un accès plus aisé aux contenus de formation et une meilleure égalité des chances. Cela permettrait à la Suisse, en tant que société et en tant qu’économie, d’avoir les capacités requises pour anticiper les changements futurs, réagir et s’adapter de manière agile pour demeurer un espace de vie et économique innovant.
Le changement climatique, la surexploitation des ressources et la protection de la biodiversité font partie des principaux défis de l’humanité. Alors que ces questions s’imposent nettement dans les débats politiques, économiques et sociaux depuis quelques années, en tout cas en Europe de l’Ouest, la pandémie actuelle a temporairement détourné ces tendances de fonds de l’attention générale. Mais il est évident qu’il faudra encore faire des efforts collectifs pour que la Terre demeure un espace de vie dans sa forme actuelle pour les générations futures.
Malgré ses conséquences tragiques, la pandémie actuelle a aussi eu des effets positifs inattendus. Le confinement imposé sur le plan international, qui a engendré un effondrement du nombre de liaisons aériennes et des déplacements en général, a eu un impact négatif sur les échanges de biens internationaux et le secteur des voyages, mais a eu un effet bénéfique sur l’environnement. Les émissions de CO2 et d’autres substances néfastes dues à la consommation de combustibles fossiles ont fortement diminué dans les pays qui ont imposé un confinement. Cela a une incidence positive sur le changement climatique, mais aussi sur la santé des citadins qui bénéficient actuellement d’un air beaucoup plus pur. Par ailleurs, beaucoup d’entreprises ont réussi à poursuivre leur activité presque sans problème avec des réunions en ligne et des conférences vidéo à partir de bureaux à domicile mis sur pied rapidement.
À la suite de la crise, la question climatique figurera en principe de nouveau à l’ordre du jour des dirigeants politiques.
Mais il y a fort à craindre que le balancier bascule dans le sens inverse dans certains pays et que ces gouvernements assouplissent leurs règles de protection de l’environnement pour stimuler l’économie à court terme.
Dans ce contexte, la Suisse peut, grâce à cette numérisation accélérée et à ses universités et entreprises innovantes, se positionner comme pionnière dans le domaine du développement durable et des modèles de travail novateurs, et renforcer son attrait comme pôle de travail, de vie, d’économie et de tourisme.
D’une part, en encourageant les conditions-cadre correspondantes dans le domaine de la collaboration virtuelle (infrastructure et élimination d’obstacles juridiques, entre autres), les dirigeants politiques peuvent profiter de cette dynamique et soulager l’infrastructure de transport avec une baisse des déplacements professionnels, mais aussi offrir aux collaborateurs une « durabilité individuelle » accrue en leur donnant plus de flexibilité. Il convient aussi de se pencher sur les groupes professionnels qui n’ont pas encore la possibilité de travailler en mode virtuel. À ce niveau, l’administration publique peut servir d’exemple et promouvoir ces modifications dans sa pratique administrative.
D’autre part, outre ces mesures relatives aux modifications au niveau de l’individu, il faut évaluer les conditions- cadre pour la transformation de l’économie, allant jusqu’à un modèle plus durable et plus efficient sur le plan énergétique. Dans son pacte vert, l’UE a déjà présenté une feuille de route à long terme pour une telle transformation. Pour saisir ces opportunités, la Suisse devra aussi s’atteler à cette tâche et développer de nouvelles approches en complément de la promotion de l’innovation (voir la thèse 4 sur l’innovation). Il s’agit encore de s’appuyer sur les forces du modèle social suisse et, au lieu d’imposer une politique industrielle centralisée, de trouver les meilleures solutions ensemble conformément à la concordance et au fédéralisme, et notamment de tirer parti de la capacité d’innovation de la recherche et des entreprises suisses.
Il n’y a pas eu de panne majeure de l’infrastructure suisse et les mesures existantes se sont avérées efficaces, bien que les cybercriminels aient commis de nombreuses attaques pendant la crise. En particulier, les pirates ont eu un accès plus aisé aux données sensibles après le déplacement précipité des postes de travail des bureaux, où ils sont en général protégés par des services informatiques centraux, vers les domiciles. Il faut maintenant trouver des moyens de protéger ces structures de travail décentralisées. Par ailleurs, la dépendance de la Suisse à l’égard de l’étranger a été mise en évidence dans certains domaines de l’infrastructure numérique, mais n’a pas causé de problème majeur pendant la crise.
On pourrait y parvenir en renforçant les efforts nationaux de cybersécurité afin de lutter contre ces menaces à large échelle et en lançant un débat entre les entreprises, la recherche et le monde politique sur une interprétation de la « souveraineté numérique » qui soit pertinente pour la Suisse.
La Suisse a déjà pris des mesures importantes dans cette direction, y compris une approche coordonnée plus poussée sur le plan institutionnel (notamment avec la création du délégué ou de la déléguée de la Confédération à la cybersécurité). D’autres mesures incluent par exemple le projet lancé récemment concernant un « Swiss Cloud » et visant à évaluer dans quelle mesure on peut améliorer la souveraineté en matière de données et réduire la dépendance par rapport aux prestataires internationaux de services de cloud. Parallèlement, la Suisse dispose de conditions-cadre solides, ayant les compétences requises en raison de ses excellentes universités dans le domaine technologique et de sociétés hightech (start-ups, PME et grandes entreprises) et offrant des salaires attrayants pour les spécialistes en comparaison internationale. Mais on a besoin d’efforts concertés supplémentaires de la part du secteur public et du secteur privé pour trouver des solutions durables.
Sur cette base, les acteurs politiques de Suisse peuvent, en concertation étroite avec le secteur privé et la recherche, lancer une vaste initiative pour renforcer l’infrastructure et développer les capacités dans le domaine de la protection cybernétique. En particulier, il convient de soutenir à cette fin les PME et les autres organisations de petite et moyenne taille, et de les inciter à unir leurs forces. En développant systématiquement ses propres capacités de défense et ses compétences technologiques, la Suisse peut garantir la sécurité des informations sensibles et sa souveraineté numérique. Cette autonomie sans compromis doit en particulier être assurée en temps de crise.
Il est ici essentiel de répondre à la question de savoir quels partenaires sont appropriés pour opérer dans les domaines essentiels de l’État sans que la Suisse soit menacée d’être compromise et quelles compétences peuvent éventuellement être développées sans aucune aide externe.
Un autre domaine qui a été fortement sollicité pendant la pandémie est celui de la logistique. Avec une demande supérieure à la moyenne dans le commerce de détail et le report de la consommation des magasins vers le commerce en ligne, les services de livraison et la Poste ont été confrontés à d’énormes défis. Dans le domaine du transport et de la logistique, les conditions-cadre devraient donc également être renforcées afin de permettre un pilotage et une mise en réseau plus intelligents et d’optimiser le « dernier kilomètre », même après la crise
La pandémie du Covid-19 nous a fait comprendre combien il est difficile de passer rigoureusement et rapidement à une gestion de crise adéquate et actuellement, nous percevons aussi combien il est difficile de concevoir un retour ordonné à la normalité. Nous sommes mal préparés à un passage rapide et géographiquement restreint du confinement à l’assouplissement des mesures. Un outil clé pour gérer les crises futures de manière appropriée est le développement continu de scénarios de planification.
Plus les dangers concrets et les tendances potentiellement problématiques dans le domaine de la santé ou de la sécurité peuvent être identifiés tôt, plus on peut introduire les mesures correspondantes tôt et éviter les pires répercussions.
En principe, il faut supposer que la situation sécuritaire internationale ne s’améliorera pas fortement à court terme dans les domaines politique, économique et sanitaire. La Suisse doit s’équiper pour faire face à ces défis avec des scénarios adaptés à d’éventuelles crises et développer les structures correspondantes. Pour pouvoir prendre des mesures prospectives et gérer les crises futures de manière flexible, adaptée et rapide, il faut effectuer des analyses approfondies des besoins et des dépendances de la politique, de l’économie et de la société suisses et définir des modèles de procédure. Cela permet d’identifier les lacunes existantes et les contre-mesures adéquates. Ces scénarios couvrent le spectre complet de la gestion de crise aux trois niveaux politiques de la Suisse et optimisent l’approvisionnement, la protection et les contre-mesures avec des modèles de crise flexibles.
Dans les scénarios de planification, une transparence vis-à-vis de la population, adaptée au domaine d’intervention, et l’implication des différents acteurs sont essentielles pour respecter les principes démocratiques et renforcer la confiance. Cela implique que l’on communique sur les scénarios de planification et sur les mesures, mais aussi sur leur efficacité, laquelle doit être évaluée en conséquence.