Gros plan sur : Le droit du travail

L’impact de la pandémie sur notre quotidien professionnel

Ivana Vidakovic
Co-Head of Employment Law, PwC Suisse

Ce qui était initialement une exigence du Conseil fédéral au début de la pandémie, est aujourd’hui devenu une tendance : le télétravail. Les entreprises qui souhaitent continuer à proposer ce modèle de travail après la levée des obligations de travail à domicile ne doivent pas sous-estimer la complexité des aspects liés au droit du travail, à la fiscalité, à la sécurité sociale, aux obligations réglementaires et à la protection des données – notamment au regard des relations de travail internationales.

Montagnes russes juridiques

Le COVID-19 a complètement bouleversé le monde du travail. Peu après le déclenchement de la pandémie, le Conseil fédéral a pris conscience de la nécessité d’engager des mesures, ce qu’il a fait en adoptant son Ordonnance 2 COVID-19 le 13 mars 2020. Celle-ci visait initialement à permettre aux personnes vulnérables de remplir leurs obligations professionnelles depuis chez eux. En 2020, cet ordonnance a été continuellement ajusté et finalement été remplacée par l’Ordonnance COVID-19 situation particulière. Cette dernière a rendu le travail depuis le domicile obligatoire à compter du 18 janvier 2021 dès lors que les activités professionnelles effectuées le permettaient avec des ressources proportionnées. 

Les entreprises suisses ont été sollicitées jusqu'à l'extrême. Ce que beaucoup jugeaient autrefois inenvisageable, compte tenu de la culture d’entreprise, s’est imposé dans la vie professionnelle quotidienne. Grâce à leur degré avancé de numérisation, les entreprises ont trouvé des solutions, qu’elles ont pu mettre en œuvre sur le plan technique, dans le respect des exigences légales.

Entreprises autorisées et non autorisées

L’obligation de travailler depuis son domicile a eu des conséquences plus ou moins considérables en fonction de si l’entreprise était soumise ou non à l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA). Les institutions soumises à la FINMA et les établissements autorisés, à l’instar des banques, des compagnies d’assurance ou des gestionnaires d’actifs, doivent respecter des exigences très strictes en matière de protection et de sécurité des données des clients. Quasiment en une seule nuit, elles ont dû s’assurer du respect de ces exigences dans l’environnement décentralisé du télétravail. Pour les entreprises non autorisées, le vrai défi était plutôt les tâches à accomplir que les exigences réglementaires. Elles ont notamment dû réfléchir au travail que le personnel de production pouvait accomplir depuis chez lui.

Une nouvelle situation juridique, mais des problématiques anciennes 

L’Ordonnance COVID-19 situation particulière a elle aussi été modifiée plusieurs fois depuis son introduction. Le 23 juin 2021, le Conseil fédéral a transformé l’obligation de travailler à domicile en recommandation et a assoupli certaines restrictions. Les employeurs restent toutefois tenus d’instaurer d’éventuelles mesures en vertu du principe STOP : Substitution, mesures Techniques, mesures Organisationnelles et équipement de Protection personnel. Ils peuvent à ce titre opter pour le télétravail, la séparation des équipes, l'aération régulière et le port du masque facial. Le concept du travail à domicile est resté – de même que les incertitudes juridiques, auxquelles ni l’expérience de ces derniers mois ni les articles de doctrine, pas plus que les spécifications légales, n’apportent de réponse claire. Par conséquent, les employeurs qui continuent à proposer de travailler depuis la maison doivent encore clarifier les points suivants :

a) Matériel et frais

Les employés qui souhaitent travailler depuis chez eux ont besoin d’un minimum d’infrastructure : un bureau, une chaise, un ordinateur et une imprimante. Ajoutez à cela les frais de connexion internet, d’appels téléphoniques, d’électricité et de chauffage. Les loyers posent également question, puisque le domicile et les moyens personnels sont utilisés pour accomplir le travail. L’Ordonnance COVID-19 situation particulière du Conseil fédéral de janvier 2021 prévoyait expressément que les employés ne devaient recevoir aucune indemnisation pour les dépenses en lien avec le travail effectué depuis le domicile du fait de la situation pandémique (voir l’article Kosten für Homeoffice während der Pandemie – en allemand ou en anglais). La levée de l’obligation du travail à domicile a généré une certaine incertitude juridique concernant le remboursement des frais. La doctrine part du principe qu’il n’est pas nécessaire de rembourser aux employés qui choisissent volontairement de travailler à domicile les frais qu’ils engagent.

b) Heures de travail et contrôles

L’incertitude règne aussi quant à qui peut ou doit faire quoi, notamment en matière de contrôle des employés qui travaillent à domicile. Comment les superviseurs peuvent-ils vérifier qui travaille à domicile, quand et combien de temps ? Et quelle doit être la limite de ces contrôles ? Après tout, travailler de son domicile implique, par nature, un certain mélange entre la vie professionnelle et la vie privée. 

La loi sur le travail suisse oblige les entreprises à consigner les heures de travail de manière détaillée. Dans ce cadre, elles doivent clairement indiquer la durée, le début et la fin des heures de travail quotidiennes et hebdomadaires, y compris les heures compensatoires et les heures supplémentaires, ainsi que toutes les pauses d’une durée supérieure à une demi-heure. Les employeurs doivent par conséquent s’assurer que les collaborateurs qui travaillent depuis chez eux saisissent correctement leur temps de travail, ne travaillent que pendant la durée convenue et respectent les temps de pause. La mesure dans laquelle ils sont autorisés à s'immiscer dans la vie privée de leurs employés n'est pas facile à décider et doit être évaluée au cas par cas.

c) Protection au travail

L’obligation de travailler à distance a notamment été imposée pour protéger les employés mais la sécurité du milieu de travail ne se limite pas aux risques induits par la pandémie. Certains aspects, tels que l’ergonomie et la prévention des accidents, doivent également être pris en compte. Il est plus facile pour une entreprise de concevoir un lieu unique, équipé de postes standardisés, que d’adapter l’aménagement spécifique d'une chambre d'enfant convertie en bureau aux exigences en matière de protection du travail.

d) Protection des données

Le travail effectué à domicile ou durant un déplacement soulève automatiquement des interrogations concernant la protection des données. À cet égard, il est important de définir quelles mesures les employeurs et les employés doivent prendre pour garantir la protection et la sécurité permanente des données des clients. Comment, par exemple, contrôler l’accès à une chambre transformée en bureau à domicile ? Et comment le contrôler dans un logement commun, qui abrite plusieurs familles ? Fin septembre 2020, la Loi fédérale sur la protection des données (LPD) a fait l’objet d’une révision complète, mais elle ne contient aucune disposition relative au télétravail. Le respect des obligations en matière de protection des données relève aussi bien de la responsabilité des entreprises que des employés quel que soit le modèle de travail proposé.

L’internationalisation accentue la complexité

La situation est encore plus complexe pour les missions internationales et les travailleurs frontaliers. Quelles sont les responsabilités de l’employeur en matière de droit du travail, de droit fiscal et de droit de la sécurité sociale si le bureau à domicile de l’employé est situé à l’étranger ? D’autant que la situation diffère selon qu’il s’agit du PDG ou d’un collaborateur lambda. Dans cette configuration, il est important de tenir compte d’aspects tels que les impôts sur le revenu et les impôts des entreprises (le risque lié aux sites de production) ou encore les règles d’assujettissement à la sécurité sociale. Selon la portée du travail effectué à l’étranger et/ou la nationalité des collaborateurs, ils peuvent être assujettis au système de sécurité sociale étranger. Il convient en outre de tenir compte de l’application du principe de territorialité, qui entraîne l’application des dispositions du droit du travail du pays où le télétravail est exercé, notamment en termes de durée du travail hebdomadaire, de droits aux congés payés ou de maintien du salaire en cas d’incapacité de travail. Il est dans ces cas recommandé aux employeurs de prendre conseil auprès d’experts internes ou de solliciter l’aide d’un réseau professionnel de consultants internationaux.

L’entreprise a besoin de son personnel 

La pandémie a simplifié la décentralisation du travail. Mais la collaboration interpersonnelle et la communication directe demeurent essentielles. Elles déterminent la façon dont les valeurs de l’entreprise sont mises en œuvre concrètement et intégrées à la culture de l’entreprise. Les employés et les managers ont réalisé qu’ils ont des liens plus étroits avec leur entreprise lorsqu’ils travaillent sur place. Ils sont plus à même de développer un sentiment de fidélité et un esprit d’équipe s’ils peuvent directement faire l’expérience de ce qu’eux-mêmes, leurs équipes et l’entreprise dans son ensemble représentent. Malheureusement, les échanges via des plateformes numériques manquent de spontanéité et de dynamisme. C’est pourquoi les entreprises doivent interagir avec leurs collaborateurs et leurs équipes plus fréquemment qu’à l’occasion des réunions en ligne mensuelles. À défaut, elles ne pourront pas découvrir ce qui fait douter les employés ou ce qui les retient dans l’entreprise.

Une clarification nécessaire

Du point de vue technique, dans de nombreux endroits il est aujourd’hui souvent facile de créer un bureau à domicile. Mais les aspects juridiques sont plus complexes. Et ce parce que le terme de « bureau à domicile » n’apparaît pas dans le Code suisse des obligations (CO), c'est pourquoi il n'existe pas de réglementation explicite à son sujet. Afin de clarifier qui doit ou peut faire quoi, nous formulons les recommandations suivantes :

  • Définir les droits liés au travail à distance dans les contrats de travail.
  • Fixer des règles en matière de travail à domicile dans un règlement (voir l’encadré) pour définir comment ce modèle de travail doit être compris et mis en œuvre. 
  • Organiser des ateliers ou des formations internes sur la façon d’appliquer les règles relatives au travail à domicile et répondre aux questions particulières découlant de la pratique.
  • Communiquer régulièrement et ouvertement avec le personnel qui travaille à domicile afin que les supérieurs et les responsables des RH connaissent en permanence leur état de bien-être physique et mental.

Résumé

Grâce aux progrès de la numérisation, les entreprises ont pu rapidement mettre en œuvre le travail à domicile imposé par le Conseil fédéral en mars 2020, d’abord pour les employés vulnérables, puis – dans la mesure du possible – pour l’ensemble du personnel dès janvier 2021. Mais ce modèle de travail n’est pas envisagé dans le CO. Qui plus est, les dispositions applicables aux entreprises n’ont cessé d’évoluer au gré de la pandémie, générant de l’incertitude pour les employeurs comme pour les employés. Parallèlement, de nombreux employés ont fini par apprécier les avantages du travail à domicile. Ce modèle a en effet fortement gagné en popularité et est même désormais recherché. Les entreprises suisses qui souhaitent continuer à proposer cette possibilité peuvent facilement le faire, mais elles devraient fixer des règles concernant le travail à domicile, afin de clarifier l’organisation de ce modèle et qui est tenu de faire quoi. La situation est plus délicate pour les relations de travail internationales, à cause des autres implications en termes de droit du travail, de droit de la sécurité sociale et de droit fiscal. Dans ce cas, il convient de solliciter les services d’un expert indépendant, pour éviter les mauvaises surprises.

Le règlement de travail à domicile

Le sommaire d’un règlement relatif au travail à domicile pourrait comprendre les points suivants :

1. Objectif et champ d’application

2. Définition du télétravail

3. Conditions à l’exécution du travail depuis le domicile

4. L'étendue du taux d’occupation

5. Conditions-cadres temporelles

6. Mise en place d’un bureau à distance

7. Règlement concernant les frais en cas d’exécution du travail depuis le domicile

8. Conduite à tenir en cas de panne

9. Sécurité au travail

10. Conduite à tenir en cas d’exécution du travail depuis le domicile

11. Fin du travail à domicile

12. Dispositions finales

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Ivana Vidakovic

Ivana Vidakovic

Head of Employment Law, PwC Switzerland

Tel : +41 58 792 4764

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